Quelques balises pour que le « S » de Socio ne devienne pas « S » comme Soupe

Conclusion

Par Maud Verjus

Ce « S » de l’ISP nous semble décidément bien insaisissable.

A commencer par les décrets : à la lumière de l’analyse1, on ne peut pas dire qu’il y porte une place fondamentale, ni déterminante. Un peu comme s’il y avait été inscrit à la sauvette, « parce qu’il le faut bien », tout en espérant qu’on l’oublie en faveur du si notoire et légitime « P ».

Un « S » imposteur ? Empêcheur de tourner en rond, rappelant à la société ses responsabilités sociales auprès de ses « cabossés2 » ?

Ce « S » nous rappelle et nous renvoie pourtant aux spécificités mêmes de notre travail, qui nous distingue fondamentalement de la Promotion sociale. Nous travaillons bien aux côtés de publics qui connaissent et accumulent une série de difficultés avec souvent, comme conséquence, une grande précarité de vie. Mais comment penser faire un travail de qualité auprès de nos publics sans s’appuyer activement sur l’ensemble des dimensions que sous-tend ce fameux « S » ?

Cet étonnant flou artistique dans les décrets à propos des contours du « S » nous invite donc à nous saisir des marges de manœuvre laissées par cet espace flou, pour mieux s’en emparer.

Une question cruciale est de savoir, individuellement en tant que travailleur et collectivement comme organisation, « de quel côté du manche » nous souhaitons être.

Malheureusement, les décrets nous laissent toutes les orientations possibles quant au positionnement professionnel qui en découle, ce qui n’est pas sans conséquences (parfois majeures), sur les stagiaires...

Sans conscience et volonté active de lutter contre une reproduction des dominations déjà vécues par nos publics, consciemment ou insidieusement, nous jouons en ISP le jeu des politiques bien connues et fortement ancrées de l’Etat social actif.

Sans une posture active et critique contre des politiques sociales écrasantes, nous risquons bien d’être cantonnés à rester des « marchands de soupe » ou pire encore, des « marchands de sommeil ».

Profitant de notre pouvoir légitime, nous risquons d’asservir davantage des personnes qui ont déjà bien compris qu’elles ne faisaient pas partie du même monde. Nous contribuons alors à désigner comme de « bons pauvres », ceux qui arrivent à l’heure, ceux qui se débrouillent (en prenant parfois de grands risques) pour être là, à l’inverse des « mauvais » qui n’avaient qu’à se bouger pour s’en sortir3.

Comme travailleur tout comme institution du secteur ISP, nous ne pouvons faire l’économie d’une réflexion plus globale sur ce que nous « vendons » aux stagiaires sur le monde du travail, les conditions des emplois proposés et la cohérence entre nos publics et ces emplois possibles. Notre travail, pour ne pas être violent dans nos pratiques et dans les liens entretenus avec eux, doit être ancré dans une réflexion plus macro sur les questions structurelles4.

Ces réflexions doivent nécessairement être partagées avec les premiers concernés afin de les soutenir pour mieux comprendre et se positionner5 eux-mêmes face à ce contexte structurel qui les dépasse en tant qu’individu. En cela, nous les amenons à retrouver du pouvoir sur ce qu’ils vivent mais aussi sur le contexte social. Une manière d’assumer le « S » est d’expliquer et d’amener nos publics à comprendre que leur situation individuelle n’est pas de leur faute6, ni de leur unique responsabilité7. Non, il ne suffit pas de « se bouger » pour trouver un emploi de qualité, adéquat et avec un salaire décent.

Ce travail de déculpabilisation aura son poids auprès des premiers concernés uniquement si le travailleur lui-même se sent touché et concerné par les réalités vécues par les publics. En quoi leur réalité vient-elle nous interroger sur la question plus large du lien social ? Sur notre lien à la société, comme travailleurs de l’ISP ? De quelles injustices sociales parle et traite notre travail de formateur ou d’accompagnateur dans ce secteur ?

Il s’agit bien ici aussi de notre posture professionnelle. Envisage-t-on les personnes à partir de leurs manques, de leurs faiblesses à combler ou les perçoit-on – sans – a priori comme interlocuteurs d’égale et/ou de commune humanité ? Leur fait-on confiance, a priori, ou celle-ci doit-elle être gagnée, voire méritée ?

Cette question de la confiance est centrale. De sa réponse, découleront les dynamiques de la relation.

Sans une volonté délibérée de proposer un autre type de lien que celui qui re-crée de la domination, par le rapport intrinsèquement et profondément inégal entre formateur et formé, les stagiaires joueront le « jeu social » de la formation à suivre. Mais ils ne seront pas dupes et comme le disait Rougiatou8 dans sa formation en alphabétisation : ce sera alors « je rentre, je sors ».

Cela ne signifie pas forcément que rien n’est acquis ou que tout est raté, mais cela signifie peut-être bien que nous serons passés à côté du « S » de l’ISP.


  1. Cfr texte sur l’analyse des décrets ISP (Bruxelles et Wallonie), page X ↩︎

  2. Cfr texte sur l’association Avanti et Interview de travailleurs de Lire et Ecrire, pages X et Y ↩︎

  3. Cfr interview de Céline Nieuwenhuys, page X ↩︎

  4. Ibidem, C. Nieuwenhuys ↩︎

  5. Op Cit., Avanti, page X ↩︎

  6. Op Cit., Lire et Écrire, page X ↩︎

  7. Op Cit., C. Nieuwenhuys, page X ↩︎

  8. Cfr texte La Petite histoire des deux Grandes valises, page X ↩︎

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