Aller vers les stagiaires
4 projets de CISP
Projets
Propos recueillis par Nathalie Damman
La précarisation des publics en ISP a, au fil des années, accentué les phénomènes de désaffiliation et de démobilisation des stagiaires.
La diminution du nombre de candidat.es en formation a connu un point critique au moment de la crise Covid. Cela a amené les CISP à réfléchir, plus que jamais, à leur façon à la fois de recruter les candidats stagiaires, mais aussi de les accueillir et de les maintenir en formation. Nous avons rencontré 4 CISP pour voir quelles étaient leurs pratiques parfois innovantes, parfois plus classiques en termes de recrutement, d’accueil et d’accroche des stagiaires : Le Monde des Possibles, SOFFT, la Ferme de Froidmont et le Bric. Les fiches qui suivent donnent un tour d’horizon de leurs pratiques.
L’étude de l’Interfédé, pilotée par Dimitri LEONARD, RASta (Recrutement et Accroche des Stagiaires en formation CISP) [1] , se concentre sur la question du recrutement et vise à comprendre, d’une part, le phénomène de désaffiliation et de démobilisation des stagiaires et, d’autre part, les manières d’atteindre les stagiaires et de retisser des liens avec eux. Elle souligne l’importance pour les CISP de développer des pratiques innovantes pour « aller vers » les candidats, tout en veillant à ne pas négliger les considérations humaines et sociales. Elle souligne également l’intérêt de professionnaliser les pratiques de recrutement et de les partager entre CISP. L’étude montre aussi que les partenariats locaux sont essentiels à la fois pour créer un réseau de soutien mais aussi pour visibiliser l’offre de formation des CISP. Elle mentionne aussi le rôle important des locaux et du bouche-à-oreille pour faire venir les candidat·es.
1. Un accueil inconditionnel, sous-tendu par l’idée que « personne n’est inemployable » : chaque lundi matin, le Monde des Possibles ouvre ses portes pour des entretiens individuels à toute personne souhaitant s’inscrire à une formation ou bénéficier d’un accompagnement. Objectif : évaluer les compétences et les besoins des nouveaux arrivants pour les accompagner vers la formation et la mise à l’emploi.
2. Hospi’Jobs : une formation pour un public d’origine étrangère, pour une mise à l’emploi en milieu hospitalier. Projet organisé, coordonné et mis en œuvre avec les hôpitaux, avec une coordination forte et une approche de type « job first » (la mise à l’emploi, après une brève formation en français, précède l’approfondissement en langues).
- Douze semaines de formation avec des cours de français adaptés aux métiers du milieu hospitalier (nettoyage, préparation des repas et logistique) et un travail sur les compétences transversales (dimensions interculturelles, stress, intégration dans une équipe…). 9 journées de visites d’hôpitaux (trois hôpitaux, trois métiers). 4 à 6 semaines de stage. Objectifs : découvrir les métiers, les lieux, les outils, l’ambiance, le rythme.
- Attention particulière portée à la médiation interculturelle : groupes de parole pour analyser des cas concrets, avec les accueillant.es en hôpital, 2 heures tous les 6 mois. Objectifs : prévention de conflits et meilleure intégration du public.
- Flexibilité et adaptation : adaptation des horaires et mise en place de solutions pour répondre aux besoins spécifiques des participants (co-voiturage, garde d’enfants).
3. Un processus d’éducation permanente ancré dans une réalité très pratique : conscientiser collectivement sur les discriminations structurelles tout en travaillant l’émancipation socio-économique de primo-arrivants, concrètement, par l’emploi.
4. Une démarche pratique et politique, une vision à court et à long terme :
- une collaboration étroite avec les hôpitaux sur les freins spécifiques aux personnes migrantes, tout en nourrissant l’ambition de voir, à long terme, les politiques d’asile et les points de vue sur l’immigration évoluer
- une attention portée à la dimension de l’emploi durable tout en favorisant l’égalité sociale et répondant aux pénuries de main-d’œuvre.
- une convergence d’intérêts : de la médiation entre des gens qui n’entrent pas dans le système et un système qui a besoin des gens
- de l’éducation permanente avec les entreprises pour augmenter leur collaboration avec le public issu de la migration.
SOFFT
Activités : 4 filières de formation : « Reprendre confiance en soi », « Orientation professionnelle », «Français », et « Compétences numériques » + Accompagnement individuel.
Particularité : Membre du Collectif contre les violences familiales et l’exclusion
1. Partenariats : Présence dans le paysage associatif liégeois et création de liens avec d’autres institutions comme une maison de quartier, Sürya (accompagnement et hébergement des victimes de la traite d’êtres humains), Lire et Ecrire, les CPAS (notamment par le projet Miriam, empowerment des femmes en situation de pauvreté et de monoparentalité)…
2. Café des Femmes : Un mercredi par mois, pendant deux heures, un moment de rencontre informel organisé entre participantes actuelles en formation, d’anciennes participantes, ou toute dame intéressée par ces activités. Rencontre et échanges informels, activités créatives ou de bien-être (danses libres, initiation à la sophrologie, etc.). Les enfants des participantes sont pris en charge par des partenaires, sur place. Objectif d’offrir un moment pour soi, qui alimente la confiance en soi, tout en s’intégrant dans un réseau, une communauté.
3. Des ateliers féministes de vie sociale citoyenne : Ateliers mis sur pied pour trouver des solutions par rapport aux difficultés rencontrées par les femmes (monoparentalité, garde d’enfants, logement, aide aux proches, alimentation, santé, violences conjugales et familiales…). Objectif de prévention des difficultés psychosociales souvent à l’origine de décrochages, d’absences ou de démotivation en formation, dans un cadre égalitaire en non-mixité choisie.
4. Constitution et dynamique de groupes : Les groupes de participantes sont formés en fonction des profils, une attention particulière est portée à la prévention de la violence. Les divergences d’opinion sont néanmoins les bienvenues : un pan important de l’approche pédagogique consiste à créer cet espace sécurisé où chacune peut exprimer son avis. Des activités conviviales sont organisées : se balader, profiter de la nature, faire une visite culturelle… toujours avec l’idée de passer un bon moment. Objectif : émergence d’un espace de ressourcement et de réconfort, satisfaction des participantes, meilleure accroche en formation, groupes plus solides avec moins d’abandons…
5. Le storytelling : pendant une semaine, les participantes préparent un storytelling dans lequel elles parlent d’un événement important de leur vie, quelque chose qui a bouleversé ou modifié leur vie, avec l’idée de prendre du recul sur cet événement, de reprendre du pouvoir sur leur vie, par rapport à un événement qui a été un peu compliqué. Objectif : mobilisation des compétences techniques apprises en formation (image, son…), développement de compétences organisationnelle (gestion de projet, gestion du temps)et confiance en soi. L’équipe a d’ailleurs formalisé un scénario pédagogique pour les autres centres de formation.
1. Partenariats et Réseau
Établissement d’un listing de plus de 250 partenaires, notamment ceux qui s’occupent de personnes porteuses de handicap et de demandeurs d’emploi. Contact personnalisé avec ces partenaires pour assurer une communication efficace et ciblée, rencontres régulières avec les partenaires locaux et visite des lieux lors d’un CISP-Day. Objectifs : mieux faire connaître la ferme de Froidmont aux partenaires et créer un réseau solide.
2. Levée des freins à la formation
Évaluation et réponse aux besoins spécifiques des stagiaires dès leur accueil pour garantir qu’ils puissent suivre la formation de manière continue et efficace :
- Mise à disposition de vélos électriques Prêt de vélos électriques tout au long de la formation ou de manière ponctuelle, pour aider les stagiaires à surmonter les obstacles logistiques et se concentrer sur leur formation. Une convention de prêt est signée avec les stagiaires après une vérification de leur aptitude à utiliser ces vélos par un partenaire (Provélo)
- Prise en compte des réalités personnelles des participant.es, tout en étant cohérent avec le projet (ex : exigences des horaires de l’horeca) et en vérifiant la pertinence de la filière pour chaque stagiaire
- Partenariat avec la Boîte à Clés pour accompagner les problèmes de logement
- Accompagnement à l’apprentissage pour le permis de conduire théorique, avec l’auto-école sociale, et Passport Drive pour financer le permis scooter. Objectif : faciliter la mise à l’emploi dans les domaines du maraîchage et de l’horeca.
3. Une semaine d’immersion préalable à la formation
Une semaine d’immersion en maraîchage ou en horeca, avec la possibilité de faire une 2e semaine d’immersion en cas de doute de l’une ou l’autre des parties. Objectifs : s’imprégner du métier, du groupe, de l’ambiance, des contraintes (trajets, horaires, gestes du métier…).
4. Entrée permanente en formation
Séances d’info (collectives en maraîchage, individuelles en horeca) et vérification de l’adéquation des représentations du ou de la stagiaire potentiel.le avec le métier. Décision prise en équipe, entre le formateur et la coordinatrice pédagogique, pour l’entrée en formation. Avantage de l’entrée permanente en formation : les nouveaux deviennent vite des anciens…
LE BRIC
Activités : Le Bric propose une formation professionnelle et une expérience de travail dans trois secteurs d’activités au service des particuliers et des entreprises :
- un magasin Récup’ « mobilier/décoration/articles ménagers - bouquinerie - mercerie » * un atelier de menuiserie * une entreprise de jardins
Particularités : une approche humaine et individualisée, renforcée par des partenariats solides avec des services sociaux locaux.
1. Une collaboration étroite avec les services de première ligne de Nivelles
- Une permanence par trimestre, au Service d’Insertion du CPAS de Nivelles, avec les autres opérateurs de formation de Nivelles, pour faire connaître les activités du Bric * Une journée « parcours de compétences » où les professionnels, les demandeurs d’emploi ou tout public intéressé peut découvrir l’offre de formation à Nivelles, visiter les lieux et découvrir les secteurs d’activités. Tout au long du parcours dans les différentes associations, le petit déjeuner, le repas de midi et le goûter sont offerts, ajoutant une note de convivialité à cette journée découverte
2. Un accompagnement individualisé des stagiaires et candidats stagiaires
Prendre en compte la situation globale de la personne ainsi que ses difficultés administratives ou sociales nécessite une collaboration ou une réorientation vers les partenaires dont ce sont les missions premières (pour gérer les problèmes financiers, de logement, de santé…).
3. Deux principes de base de la dynamique de formation par le travail au Bric
- Un système de parrainage et le principe d’exemplarité Les stagiaires les plus anciens parrainnent les nouveaux stagiaires pour leur faire découvrir l’organisation de l’équipe. Cela renforce la confiance en soi des anciens et crée un cadre chaleureux et inclusif pour faciliter l’intégration des nouveaux participants
- La gradation de l’autonomie professionnelle : faire, faire avec, et faire faire
4. Une durée de formation modulable
Une période « d’accueil » de deux mois qui permet d’établir un premier bilan (la personne accroche-t-elle avec la formation ? A-t-elle une participation régulière et effective au travail en équipe?). Cette première période d’accueil courte permet d’établir la confiance réciproque des partenaires et de voir si la personne est bien à sa place. Si le premier bilan est positif, la personne peut s’engager pour une période de six mois renouvelable et aller jusqu’à 14 ou 18 mois de formation, en fonction des besoins.
5. Une méthodologie de formation par le travail qui allie le social, le pédagogique et les exigences du monde professionnel
Les formateur.rices sont des hommes et des femmes de métier qui combinent l’attention portée aux situations de leurs stagiaires à l’expertise technique et à la mission pédagogique. Des réunions hebdomadaires permettent un débriefing de la semaine écoulée et annoncent le programme de la semaine à venir. Les stagiaires y sont invités à s’exprimer, à écouter, à prendre la parole. La dynamique reflète bien les valeurs d’une économie sociale, où on place l’humain avant le profit.