Sabine

Édito

Par Éric Vermeersch

Treize ans. Le temps de créer deux commerces, d’appliquer leur crédo. Mériter ! Bosser ! Consommer ! S’intégrer ! La boucler !
Te voilà pourtant en centre fermé, Sabine. Ils n’en ont rien à faire de toi, de tes sœurs, de tes frères, de ton là-bas, de ton ici, de ta réussite, de ton bonheur, de tes espoirs, de ta vie.
Et c’est de ta faute Sabine. Tu as tué nos golden sixties en quittant Yaoundé. Eux ne détricotent pas les politiques sociales, ne négligent pas le développement industriel, ne détruisent pas les services publics, n’assèchent pas la culture, ne massacrent pas la planète, ne profitent pas de la dette, ne font pas fortune sur le dos des citoyens et des Etats.

C’est faux, dis-tu ? Bien sûr. Mais ils prêchent l’incorrect pour sauver leurs privilèges. Sans trop se mouiller. Ils ont leurs larbins. Les Hanouna partent en avant évangéliser le bon peuple, les grands et les petits Trump suivent pour conduire la messe et passer l’urne à la main pour récolter la haine.

Ils orchestrent la plus grande et la plus grave pénurie de l’histoire. Il n’est pas question ici de patates, de lampes ou de pétrole. Il s’agit d’une pénurie de courage, d’envie de vivre ensemble, d’empathie, de communs. Pourtant Sabine, de belles idées germent encore à plein paniers mais elles meurent noyées sous cet impitoyable climat.

Tu es mal tombée, Sabine. Ils avaient pour bagage les bras de tes ancêtres quand ils ont quitté les colonies. Ils ne savent plus qu’en faire. Il est temps pour toi de leur servir de bouc émissaire pour sauver leur fric et leur pouvoir.
Qu’attendre, Sabine ? Qu’espérer d’un monde qui depuis la nuit des temps rejette la moitié de son identité féminine ? Qu’espérer d’un peuple qui exclut les chômeurs, les malades, les pauvres, les gros, les maigres, les handicapés, les étrangers, les vieux, les autres ?

On revient toujours à Pandore, Sabine. Les maux de sa fichue boite volent encore inlassablement. Il y est heureusement resté l’espérance, c’est elle qui gonfle vos voiles quand vous quittez le pays. De notre côté, on va espérer te revoir bientôt parmi nous, encore et toujours ramer à contrecourant et travailler pour qu’une de ces chiennes d’idées germe, s’enracine et en ait pour longtemps.

Sabine Amiyeme est camerounaise. Elle est réfugiée à Liège depuis 13 ans, y a ouvert deux commerces, engagé du personnel et payé ses impôts comme tout le monde. Elle ne parvient cependant pas à obtenir ses papiers. Au moment d’écrire cet édito, elle est en centre fermé après avoir refusé une première expulsion et peut être expulsée à tout moment.

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