Les technologies zombies comme horizon des pénuries à venir

Interview de José Halloy

Entretien

Nathalie Trussart, Grégoire Wallenborn

Nous avons invité José Halloy à nous parler de son concept de technologies zombies [^] , concept prometteur dont nous pressentions l’intérêt pour aborder le problème des pénuries à venir.

José Halloy est physicien, professeur de physique et de sciences de la soutenabilité à l’Université de Paris Cité, co-fondateur du Laboratoire Interdisciplinaire des Energies de Demain (LIED).

Énergie – puissance - matériaux

Contrairement à ce qui est souvent dit, l’humanité n’a pas de problème d’énergie. En revanche, elle a un problème essentiellement de matériaux, qui concerne leur nature et les quantités produites. Les matériaux font appel à des puissances – c’est-à-dire un flux d’énergie, une quantité d’énergie par unité de temps, puissances qui sont très importantes et qu’on ne peut trouver, pour le moment, que dans les combustibles fossiles ou l’énergie nucléaire (qui n’est pas une panacée). En fait, on n’a pas seulement un problème du couplage matériaux-puissances, mais de manière plus générale un problème avec les technologies – qui constituent la question centrale de l’écologie.

Pas de problème d’énergie puisqu’il y a bien assez d’énergie qui vient du soleil pour satisfaire les besoins humains : 99% de la puissance que la Terre reçoit vient du soleil. Le reste, c’est la géothermie. Mais on ne peut pas aller au-delà d’une limite de puissance qui est relativement basse, qui est de l’ordre de 1000 watts par mètre carré. Les combustibles fossiles, tels que le charbon, le pétrole et le gaz naturel, sont de l’énergie solaire stockée depuis le dévonien ou le carbonifère [^] . L’avantage majeur des combustibles fossiles réside dans la capacité de contrôler et de moduler leur utilisation, contrairement au soleil réel qui ne peut pas être allumé ou éteint à volonté. Cela a permis aux sociétés occidentales de se libérer des contraintes solaires, entraînant la révolution industrielle et l’exploitation massive des matériaux gourmands en puissance, tels que les métaux et les matériaux de construction, le ciment, etc. Par exemple, lors du ravitaillement en essence, on reçoit environ un demi-litre par seconde, correspondant à une puissance de 20 mégawatts, équivalente à celle produite par 2 hectares de panneaux photovoltaïques. Cette densité énergétique exceptionnelle des combustibles fossiles permet de répondre instantanément aux demandes de puissance, ce que le soleil ne peut pas offrir.

La fin des combustibles fossiles : une réalité géophysique et biologique - un enjeu structurel

Je fais le constat évident que certaines technologies sont structurellement intenables, ce que j’ai appelé les technologies zombies. Ce problème n’est pas seulement une question d’écologie politique mais une réalité structurelle qui concerne même ceux qui ne se préoccupent pas de l’écologie.

Ces technologies qui exacerbent les crises écologiques, telles que le réchauffement climatique et la perte de biodiversité, dépendent toutes des combustibles fossiles. Ces combustibles, bien que limités en quantité, sont aussi responsables d’un réchauffement climatique potentiellement catastrophique. Ainsi, leur utilisation excessive est intenable. C’est pour cette raison que grand nombre de nos technologies sont zombies : ce sont des morts vivants qui envahissent le monde, et qui sont plutôt hostiles à l’humanité, parce que potentiellement, elles risquent de créer les conditions de disparition d’une bonne partie de l’humanité, si pas toute l’humanité sur Terre.

Ce concept de technologie zombie est souvent compris par les industriels. Car même sans une sensibilité écologique, les industries doivent prendre en compte la réalité structurelle de la fin des combustibles fossiles. Les technologies actuelles, bien qu’elles semblent opérationnelles, sont insoutenables à long terme et peuvent mener à la disparition d’une part significative de l’humanité.

La réalité géophysique et biologique transcende les sensibilités politiques et devrait faire l’unanimité. Même les entreprises doivent reconnaître qu’elles pourraient ne plus exister d’ici 2050 à 2100 si ce problème n’est pas adressé. Les catastrophes écologiques ne sont que des symptômes d’une question plus profonde, qui demande une prise de conscience globale et unanime.

Technologies zombies

Pour moi, la technologie zombie par excellence, celle qui m’a frappé dès 2012, est la technologie numérique. C’est l’apogée des technologies zombies. La tendance actuelle est la numérisation de tout, y compris les pneus. L’avenir du pneu est le pneu connecté. Les entreprises sont confrontées à ce problème, et lorsque je m’adresse à un célèbre fabricant de pneus, je lui explique ironiquement qu’investir dans l’intelligence artificielle est une bonne idée. Cependant, ces technologies sont des zombies, et investir dans des technologies obsolètes est une erreur. Les gens rient parce que c’est un axe stratégique majeur pour l’entreprise. Nous sommes confrontés à des échelles de temps différentes. Les technologies zombies marquent la fin d’une civilisation, et nous sommes déjà en train de passer à autre chose. La question est de faire des choix judicieux et de se poser les bonnes questions. Si on me demande si les technologies zombies vont disparaître, la réponse est oui. On peut nuancer, bien sûr, en imaginant des scénarios dystopiques où une minorité d’Occidentaux vivent dans un monde cyberpunk, tandis que la majorité vit dans la pauvreté. Il y a une dimension éthique et politique derrière tout cela : l’idée de maintenir une démocratie avec une justice sociale. On peut imaginer un monde où la technologie est réservée à une élite, tandis que le reste de l’humanité vit dans la misère. Mais même dans ce modèle, cela semble compliqué. La fin des combustibles fossiles est inévitable, probablement au début du 22e siècle. On peut discuter des réserves restantes, mais les analyses sur le pétrole sont pessimistes. Même l’Agence internationale de l’énergie commence à dire que les réserves de pétrole vont se tarir, bien que le gaz et le charbon soient encore disponibles en quantités variables. Et au-delà de cela, il y a le réchauffement climatique. Penser à la fin des combustibles fossiles est une obligation à long terme.

Ce qui va se passer au 22e siècle se décide maintenant. Cela signifie deux choses : soit nous réfléchissons à la disparition des technologies zombies et nous nous préparons à inventer autre chose avec moins ou pas de combustibles fossiles, soit nous ne serons pas prêts. Une transition énergétique ou technologique prend environ un demi-siècle. Cela dépend de nombreux facteurs, mais il y a des choses que nous ne devons pas redécouvrir car nous en disposons déjà. Par exemple, la transition vers le smartphone a été rapide, mais elle repose sur des découvertes physiques qui remontent au début du 20e siècle. Ou encore, la mécanisation de l’agriculture française a pris 40 ans, avec un consensus politique fort et une volonté globale de transformation.

La notion de technologies zombies aide à identifier les procédés industriels insoutenables à long terme. Par exemple, les combustibles fossiles et certains minéraux sont des stocks, c’est-à-dire des ressources en quantité finie. Repenser ces procédés est essentiel. Les combustibles fossiles ont une fin, car une fois brûlés, ils ne se reforment pas. Les minéraux, en revanche, peuvent être recyclés. Cependant, le recyclage nécessite des procédés physico-chimiques qui demandent une puissance souvent supérieure à l’irradiance solaire. Si cette puissance ne peut être fournie par le soleil, elle devra venir des combustibles fossiles, créant ainsi un verrou technique. Le recyclage, qui pourrait permettre la circularité des matériaux, pourrait paradoxalement induire une demande de combustibles fossiles. Ainsi, l’économie circulaire n’échappe pas au risque d’être zombifiée, autant que l’économie non circulaire actuelle.

Transitions énergétiques dans l’histoire du vivant

Il faut comprendre que le concept de technologie zombie adopte une perspective en double extension, à la fois spatiale et temporelle : l’échelle de la terre comme métabolisme vivant et la très longue histoire du vivant qui offre des exemples remarquables de systèmes durables. Je traduis donc ainsi la question de la transition énergétique : quelles sont les transitions énergétiques majeures dans l’histoire de la terre ?

La première transition majeure est l’origine de la vie. Le vivant est une organisation particulière de la matière qui, grâce à un flux d’énergie, produit des cellules vivantes. Il met en place une chimie circulaire, basée sur CHNOPS (carbone, hydrogène, azote, oxygène, phosphore, souffre), qui capture un flux énergétique pour créer des êtres physico-chimiques que nous appelons vivants. Mais la quantité de CHNOPS est également limitée. Nous pourrions donc dire que les vivants apparus consomment toutes les quantités de CHNOPS, épuisent ce stock, puis disparaissent. Mais non, ces êtres vivants se sont perpétués. La vie apparaît parce que la géophysique le permet et elle se maintient parce que la géophysique de la Terre a été transformée par l’apparition de la vie, donnant lieu à des flux bio-géo-physiques qui ont permis aux êtres vivants de se perpétuer. C’est un nouveau système Terre qui apparaît avec le vivant. Et ce processus est particulièrement durable, puisqu’il fonctionne très bien depuis 4 milliards d’années.

La deuxième transition majeure est la photosynthèse. Les êtres vivants parviennent à « pirater » l’énergie solaire pour utiliser le dioxyde de carbone et fabriquer des substances organiques. Cela remonte à environ 2,5 milliards d’années.

La troisième transition est marquée par les êtres photosynthétiques qui sortent de l’eau et s’étendent sur l’écorce terrestre pour mieux capter le soleil. Ils inventent le bois, une sorte de « piratage » de la photosynthèse, qui permet de construire des structures en hauteur pour capturer plus de lumière solaire. Les espèces végétales prolifèrent, et une partie des forêts du Carbonifère et du Dévonien est enterrée, donnant naissance aux combustibles fossiles bien plus tard.

La quatrième transition est l’invention du feu et des outils. Il y a environ 1,7 millions d’années, le genre Homo commence à utiliser le feu pour cuire ses aliments, ce qui modifie sa physiologie et conduit à l’évolution de l’Homo sapiens. Sans le feu et la technique, il n’y aurait pas de sapiens.

La cinquième transition est l’invention de l’agriculture, il y a environ 20 000 ans. C’est la systématisation du « piratage » de la photosynthèse, soit par l’élevage d’animaux qui mangent des végétaux, soit par la culture directe des végétaux.

La sixième transition est l’entrée dans l’ère des combustibles fossiles, il y a environ 250 ans. Au 18e siècle, les Anglais industrialisent l’usage du charbon, marquant l’entrée de l’humanité dans l’ère des combustibles fossiles et la révolution industrielle.

La septième transition est actuellement en cours : la sortie de l’usage intensif des combustibles fossiles. La question est de savoir si nous allons « pirater » à nouveau la photosynthèse ou changer notre métabolisme vers la chimie du carbone plutôt que la chimie métallique.

Métabolismes

En comparant le métabolisme du vivant au métabolisme de nos technologies, je constate qu’ils n’ont pas grand-chose en commun. Ce ne sont pas les mêmes chimies, pas les mêmes procédés physico-chimiques, ni les mêmes puissances. D’un côté, nous avons une physico-chimie « mouillée », dont le solvant principal est l’eau, fonctionnant à faible puissance et basée sur la chimie du carbone, le fameux CHNOPS. De l’autre côté, nous avons une physico-chimie à haute puissance, essentiellement minérale et sèche.

Cette différence est illustrée par la célèbre comparaison entre Lee Seedol et AlphaGo dans le jeu de Go. En 2016, AlphaGo est la première machine à battre le champion de go. D’un côté, nous avons un cerveau humain, une sorte de gel mouillé, fonctionnant avec une puissance de 20 watts. De l’autre côté, nous avons une grande armoire en fer, en métal et en plastique, l’ordinateur, qui nécessite 150 000 watts rien que pour faire fonctionner ses microprocesseurs, son « cerveau ». Ainsi, nous avons une machine non soutenable et non renouvelable, avec une puissance démesurée, qui a battu un être humain parfaitement renouvelable et soutenable, fonctionnant avec un cerveau de 20 watts.

Sur le vivant, on a encore énormément de choses à apprendre. Mais on en sait déjà beaucoup sur les raisons qui expliquent que le vivant est soutenable depuis 3-4 milliards d’années, pourquoi cette physico-chimie-là, comment elle fonctionne, etc. Ça veut dire qu’on en sait déjà suffisamment pour orienter de nouvelles questions et de nouvelles recherches qui soient interdisciplinaires.

Les apprentis ingénieurs n’ont pas de cours de biologie et sont de ce fait très mal préparés pour répondre aux défis écologiques. Comment est-ce que quelqu’un qui n’a aucune idée de comment fonctionne le vivant peut fabriquer de l’écologie ? Il n’a pas idée. Quand je dis à un ingénieur « vous avez le même code génétique que le géranium ou que l’arbre qu’on voit par la fenêtre », il est étonné, il trouve ça curieux. Et je lui demande pourquoi. La réponse, c’est parce que c’est la seule physico-chimie qui a réussi à être soutenable pendant 4 milliards d’années.

Donc, finalement, les zombies, c’est la fin de ce métabolisme à coups de combustible fossile. Et on revient sur ce qu’on avait avant, c’est-à-dire des sociétés humaines qui étaient sous la contrainte solaire. Alors, est-ce qu’on va y échapper d’une manière ou d’une autre, partiellement ou pas ? Ça, c’est la question. Mais surtout, ça remet en question fondamentalement le métabolisme, la physico-chimie de nos technologies qui n’est pas soutenable parce qu’elle ne correspond pas au métabolisme terrestre.

Il faut prendre le vivant comme modèle de référence pour penser nos technologies vivantes à venir justement parce que c’est le seul truc qu’on connaisse qui est soutenable depuis 3 milliards d’années, c’est la réussite de processus physico-chimiques qui persistent et qui vont perdurer encore, même sans nous, les humains. Même si l’humanité disparaît par suite d’une catastrophe, la vie, essentiellement microbienne, va retrouver un équilibre et va perdurer encore des millions, des milliards d’années. Il y a déjà eu 5 extinctions précédentes, il y a déjà eu des déséquilibres fondamentaux. L’humain va disparaitre peut-être, mais pas le vivant.

Pénuries à venir

Les pénuries à venir concernent tout ce qui est métal et métalloïde, et qui constituent le gros du tableau périodique des éléments chimiques, car ce sont des quantités minérales en quantité finie sur Terre. Le recyclage des métaux est très différent de l’exploitation des mines, parce que quand on exploite un stock, on peut en avoir toujours plus si on a la puissance à disposition. Par exemple, la consommation de cuivre est exponentielle depuis le début du 20e siècle et elle est aujourd’hui de 22 millions de tonnes par an, ce qui est colossal. Tant qu’il y a des mines, on peut avoir chaque année plus de cuivre. Cette phase de croissance exponentielle est vraie à peu près pour tous les matériaux. Mais quand le stock est épuisé, la croissance s’arrête et la disponibilité des matériaux dépend des objets en fin de vie à recycler.

Nous allons donc passer à un état où, si nous disposons encore de ces matériaux, nous aurons une quantité disponible et finie chaque année. Chaque année, cette quantité diminuera, marquant ainsi un changement de modèle socio-économique. Depuis le début du 19e siècle jusqu’à nos jours, le modèle socio-économique occidental a été caractérisé par une croissance économique permanente, basée sur une consommation croissante de matériaux et de combustibles fossiles. Si nous atteignons la fin des combustibles fossiles et parvenons à la circularité des métaux, ce qui n’est pas garanti, nous ne serons plus dans une phase de croissance énergie-matériaux. Nous entrerons dans un état fluctuant ou stationnaire, oscillant autour d’un état stable, mais en tout cas, nous ne serons plus dans une zone de croissance. Les pénuries annoncées de matériaux critiques sont un signe que le métabolisme technologique doit et va changer, tout comme le modèle socio-économique qui soutient ce système.

Les matériaux critiques ne sont pas nécessairement rares en termes d’atomes disponibles, mais peuvent être mal distribués géologiquement ou géographiquement, ou encore nécessiter des technologies non matures ou un manque local d’énergie. La criticité peut également être due à des réglementations, des considérations géopolitiques, ou des variations régionales. Les critères de criticité varient d’un pays à l’autre, comme le montrent les rapports de l’Union européenne et de l’Agence Internationale de l’Énergie [^] .

Pour les matériaux non métalliques, comme le ciment, le sable et les matériaux de construction, des questions se posent également. Par exemple, le premier poste de consommation de puissance est l’acier et le fer, avec une production annuelle de minerai de fer de plus de 2 milliards de tonnes, et en second le ciment avec une production annuelle de plus de 3 milliards de tonnes. Cette quantité est astronomique. La zombification est la mort entropique des métaux. À chaque cycle, une petite partie de la matière est perdue. Par exemple, si 1% est perdu à chaque cycle, cela signifie qu’en un siècle, 63% de la matière est perdue. Et donc on passera à un état où on aura, si on a encore ces matériaux, on aura une quantité disponible, finie par an.

Les inventions du vivant

L’histoire du vivant est faite d’apparitions de nouvelles fonctions, d’événements. L’apparition de la photosynthèse, c’est un événement : la planète existe avant, et elle existe après, mais nous n’avons plus la même planète terre, avant et après.

Toute pénurie qui arrive dans le système géo-biochimique de la planète crée un déséquilibre, mais n’est pas un problème parce que le vivant va de toute façon inventer des formes qui vont s’adapter à ces nouvelles configurations des flux. C’est ce qu’on observe, c’est-à-dire chaque fois qu’il y a eu des transformations, il y a eu des nouveaux équilibres qui sont réapparus, des espèces ont disparu, d’autres espèces ont pris leur place.

Donc la question qu’on se pose est totalement anthropocentrique : quels sont les équilibres compatibles avec des sociétés humaines ?

Il n’y a pas d’équilibres compatibles avec le vivant en tant que tel. Mais donc est-ce qu’on a nous les échelles de temps ? Enfin voilà, on revient là-dessus. On a forcément des pénuries qui sont en train d’apparaître, qui vont être de plus en plus fortes, donc il faudrait faire comme le vivant, se reconfigurer en fonction des flux existants. Mais c’est extrêmement difficile de le faire très vite. Il faut au minimum 50 ans pour amorcer une transition écologique majeure. Si nous regardons l’évolution des sociétés humaines, homo sapiens apparaît il y a environ 300 000 années, et il se passe moins de 20 000 ans entre les chasseurs-cueilleurs et le néolithique. Le néolithique a introduit un nouveau déséquilibre qui a décimé certaines populations. Et puis après le néolithique, il faut attendre à nouveau 20 000 ans pour avoir la révolution industrielle. Et on a une énorme accélération d’évolution technique depuis quelques temps. Il y a donc eu des transitions, des évolutions techniques pendant tout ce temps qui restaient dans des systèmes physico-chimiques plus ou moins identiques. Donc on peut très bien réinventer la suite.

Trois missions pour s’en sortir

La première mission c’est gérer le bordel, chaque effet néfaste, au quotidien.

La deuxième c’est utiliser des technologies zombies dans l’espoir de faire de l’écologie, pour gagner du temps sur les catastrophes écologiques, éviter un effondrement, ralentir le réchauffement climatique. Au sens large. Donc on fabrique des voitures électriques ou des panneaux photovoltaïques dans l’espoir que ça va émettre moins de gaz à effet de serre. Je ne dis pas que c’est vrai, je dis que c’est ça l’espoir. Je ne vais pas dire de ne pas faire de photovoltaïques parce que les panneaux photovoltaïques sont actuellement non soutenables à long terme. Ils présentent une soutenabilité faible, à l’horizon du 21e siècle.

La troisième mission est d’inventer des technologies vivantes avec une soutenabilité forte, capables de perdurer au-delà du 21e siècle. Il y a donc une gradation de soutenabilité, des degrés de soutenabilité, plutôt que du tout ou rien, prise dans des enchevêtrements de dépendances socio-économiques complexes (risque de chômage, etc.).

Prenons l’exemple de l’industrie automobile en Europe. Nous savons que la voiture électrique est une technologie zombie. En France, cela causerait 4 millions de chômeurs. Nos sociétés peuvent-elles assumer 4 millions de chômeurs d’un coup ? Non. Même réflexion avec le photovoltaïque et les éoliennes, à l’échelle de l’Europe, du monde.

Il faut tenir compte des degrés de soutenabilité et des échelles de temps. C’est-à-dire qu’on va devoir réfléchir à comment étaler des politiques sur un siècle ou plus. Bien que cela ne soit pas impossible, on est actuellement incapable de le faire et pour plusieurs raisons.

Un système technique, c’est un savoir-faire, de la recherche, de l’enseignement, un système politique, un système socio-économique, un imaginaire, une cosmologie, une philosophie de la nature, etc. Quand je dis technologie zombie, ça zombifie le système, ça ne zombifie pas le smartphone, ça zombifie tout le système socio-économique, politique et imaginaire associé au smartphone. Tout est zombifié, donc le système socio-économique et géopolitique est zombifié. Donc il va falloir inventer autre chose. Il ne suffit pas de changer la nature du smartphone, il faut changer la nature du système politique, géopolitique, socio-économique qui permet le smartphone.

Il faut donc prendre le vivant comme modèle de référence pour concevoir nos techniques. Je fais un smartphone, je dois le concevoir comme un être vivant : il va naître, il va vivre, il va mourir. Qu’est-ce qui arrive quand il meurt ? Que devient-il quand il meurt ? Qu’est-ce qui favorise son évolution, l’apparition de nouvelles espèces (qui est que la banque qui me harcèle pour que j’utilise un smartphone avec son application bancaire ?).

Aujourd’hui le business as usual est de tenter de maintenir notre modèle de développement occidental : produire des technologies zombies, puis après leur conception, se demander comment les recycler. Le smartphone, après 2050, cela devient compliqué et au début du 22e siècle, cela devient très difficile voire impossible. La question des matériaux critiques, des combustibles fossiles va devenir majeure.

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Sécouez-vous les idées est une revue semestrielle du CESEP, réalisée par des membres de l’équipe avec l’appui d’acteurs et d’actrices extérieur·es représentant le monde associatif et/ou académique et, souvent, avec les bénéficiaires de nos actions associatives.

Chaque numéro est consacré à un sujet de société à travers un regard progressiste, alternatif, en décalage avec la pensée formatée dominante du néocapitalisme ambiant.

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