Témoignages

Propos recueillis par Paul Hermant, Marie-France Simon

En septembre 2021, des personnes en recherche d’emploi se sont exprimées sur ce qu’elles avaient vécu dans certaines de leurs expériences professionnelles passées.

En voici quelques extraits.

“Le travail, ce n’était pas toujours facile parce qu’au quotidien on devait beaucoup écouter, prendre soin, s’occuper de la situation des femmes, des situations qui étaient parfois difficiles. On avait vraiment besoin de souffler et de déposer ce qu’on vivait. Il n’y avait pas de moments pour cela. La direction n’entendait pas cela. Les réunions d’équipe servaient à faire les horaires, point. On ne parlait jamais du sens de notre travail. On ne pouvait pas faire savoir nos émotions. C’était très fermé là-dessus.
“Parce que l’argent compte puisqu’on en a besoin, on accepte un boulot qui ne nous convient pas… on s’en oublie, la vie familiale trinque. Moi mon travail idéal, c’est de pouvoir gagner suffisamment. Je ne demande pas la lune… Mais c’est de pouvoir dormir l’esprit tranquille et de me dire que je vais arriver à payer. Que mes enfants pourront me demander une paire de chaussures et que je pourrai dire Oui. Aller au restaurant ou au cinéma avec mes enfants, cela fait des années que je ne le fais plus. C’est lamentable, je trouve cela de l’esclavage. Je me dis, pour mes enfants, que si c’est cela la vie, c’est moche.
“Ça sentait le brûlé. Ils ont vendu le bâtiment. Il y avait des agents immobiliers qui venaient mesurer les locaux. Nous, on téléphonait au bureau pour savoir pourquoi il y avait des agents immobiliers. On nous répondait qu’on ne savait pas. Le magasin avait été mis en vente sur Immoweb. On ne nous l’avait pas dit. On était dans le magasin et à chaque fois, ils nous disaient qu’ils n’étaient pas au courant. On m’a téléphoné un jour en me disant qu’il y aurait un agent immobilier et que l’on me demandait d’être agréable et de lui faire visiter. Il est venu faire trois visites et à chaque fois on nous disait qu’on ne savait pas, on ne savait pas pourquoi il venait. Ils nous prenaient vraiment pour des cons.
“Il y a eu un changement considérable dans l’entreprise. Alors qu’au début, c’était boulot-boulot- rendement, ils se sont mis à s’occuper des gens. On était dans une autre logique. Même si les palettes n’étaient pas déchargées, ce n’était pas grave. On faisait à notre rythme. Au niveau du changement, on s’est demandé s’ils n’étaient pas tarés. Pour en arriver à ce qu’un jour, on nous vende pour un euro symbolique. Il y a eu un liquidateur qui ne voulait pas payer nos préavis. Je me suis dit que ce n’était pas possible. J’ai compris l’histoire…
“Je suis dyslexique, donc l’écrit, ça ne va pas. J’ai donc décidé de faire une recherche professionnelle en allant sur place et en demandant à voir la personne responsable. Tout ça pour gagner du temps. Sentir le lieu. Entreprendre et créer la rencontre. C’est-à-dire que moi, comme je ne sais pas écrire… je suis la lettre de motivation. Mais ça ne correspond pas du tout à la manière souhaitée puisque l’on demande d’envoyer des lettres et des CV. Et je risque d’être expulsée du chômage parce que je ne rentre pas dans le modèle.
“Moi, j’aurais pris ma pension dans cette entreprise. Parce que l’on était comme une petite famille. On se connaissait toutes. On savait ce que l’on devait faire. Bon, après, au niveau du travail, c’est sûr que c’était très fatigant. On portait tout le temps du lourd. Au niveau du camping, on avait beaucoup de teck, des meubles de jardin. C’était très lourd. Après, ils nous ont quand même simplifié le travail avec des plus petites palettes. Mais seulement, on avait moins de personnel. Souvent, on était deux par jour. Quand j’ai commencé, on avait des grosses palettes en métal. Alors on ouvrait la palette comme cela (elle fait le geste) et on devait prendre ce qu’il y avait dedans, se pencher, retirer ce qu’il y avait… Elles étaient très hautes. Donc, moi, j’ai fait deux hernies discales, un tassement des vertèbres. Je ne sentais plus ma jambe donc je suis restée 6 mois à la maison en accident de travail. Mais je ne supportais pas d’être chez moi. J’ai donc recommencé le travail.
“J’étais accueillante extra-scolaire. On était considérées comme des merdes par les profs. On n’avait pas de reconnaissance. Déjà le statut d’accueillante extra-scolaire n’existe pas. Ce n’est pas reconnu. Ce n’est pas un emploi. Il n’y a pas de Commission paritaire pour cela. Il n’y a rien. On était ouvrières tout simplement au même titre qu’un ouvrier de la Commune, au même salaire, à la même échelle barémique et tout. Et donc pour les profs, c’était : «Ah, là, il y a un vomi. Je ne touche pas à cela», même si c’étaient les élèves de leur classe. «Il y a un pipi, tu le ramasses». Et ainsi de suite.
“Le manque de considération me révolte. Après le Covid, on a vu les gens dans les soins de santé… ils ont travaillé comme des dingues. La reconnaissance via les primes, c’est de la poudre aux yeux. C’est une vaste blague, ce qu’ils ont reçu. Et qu’est-ce que l’on voit aujourd’hui ? S’ils ne se font pas vacciner, si on ne respecte pas la personne comme elle est, c’est « Salut, ciao ». On a bien profité d’eux et maintenant, c’est « Tu marches ou tu crèves ». Tout le temps, tout le temps.
“Je suis tombée enceinte. Bébé surprise. Quand je l’ai annoncé à mon employeur, il a mis fin à mon contrat. J’ai perdu mon boulot.

Dans l’entreprise où je fais le nettoyage, cet employé-là me mettait mal à l’aise. Il me suivait du regard, regardait dans quelle cabine j’allais nettoyer pour m’y suivre. Il me faisait des petits commentaires du type : «Ah, mon petit rayon de soleil, tu es trop jolie.». Il était très très malaisant.

J’en ai finalement parlé au gérant. Il semble qu’il lui ait parlé puisque maintenant il me dit juste bonjour vite fait.

C’était très compliqué. Je venais d’être maman. Au boulot on te dit que tu n’en fais jamais assez. A la maison, que tu n’es jamais là. Quand je demandais à ma responsable district ce qui n’allait pas, elle me disait que «non, ça va, tes heures sont faites, ton travail est fait. Tout est fait». Mais alors, vous voulez quoi ? «Ben, un peu plus d’investissement personnel de ta part.» En gros, du bénévolat, quoi.

La patronne me disait : «Il faudrait que tu t’achètes des vêtements de la boutique.» Oui, mais moi, je ne savais pas me payer ces fringues, je ne pouvais pas me le permettre. «On te fait 20%.» 20% d’un truc à 300€, c’est pas possible.

Là, ça avait du mal à passer avec la patronne.

J’ai enterré ma grand-mère. Il faisait très pluvieux. Le lendemain, je me suis réveillée, j’étais coincée du dos. Et quand je suis arrivée au boulot, la patronne m’a dit : «Oui, m’enfin, tu as fait quoi ? Tu as porté le cercueil, ou quoi ? Tu t’es déjà absentée hier. Tu ne vas pas te mettre en maladie.»
J’ai fait vendeuse pendant le Covid. Ça m’a bousillé moralement et physiquement. C’était très mal organisé. A cause du Covid, on ne pouvait pas avoir plus de 5 personnes dans le magasin. Mais je devais aussi gérer le côté boucherie, réassortir les boissons, les légumes, … Je devais nettoyer. Et on était deux. Et la personne qui était à la caisse ne pouvait pas bouger de la caisse. Moi, je devais faire tout le reste. Je rentrais le soir, je pleurais, je n’en pouvais plus. En plus le matin, je faisais 5h-13h30 et l’après-midi, c’était 12h-20h.
Avant d’avoir ma fille, je faisais des horaires de nuit, flexibles, etc. Puis on a eu un projet de vie, on a décidé d’avoir un enfant. Je n’ai pas pu trouver un travail, je n’ai pas eu de boulot. Je suis restée au chômage. J’ai eu ma fille, je n’ai pas eu de crèche … Ben tant pis, en fait… Ça s’est passé comme ça. Je suis heureuse au final mais il y a des gens qui ne peuvent pas le faire.

Deux ans avant la fermeture. Restructuration. On savait que des magasins devraient fermer. Le matin même, notre chef de secteur nous dit : «Écoutez, à 11h tapantes vous fermez le magasin et vous restez près du téléphone. Il va y avoir un communiqué de presse». Et là, on nous annonce qu’il y a 60 magasins sur 180 qui vont fermer. Mais alors je ne vous raconte pas… on reçoit ça comme ça. Et après, on nous dit de rester encore près du téléphone parce que dans la journée même on recevrait peut-être un appel. Les magasins condamnés seraient avertis par téléphone.

Alors imaginez, chaque fois que le téléphone sonnait…

Et donc on a attendu ainsi jusqu’à 18h.

Et donc maintenant, on a eu un fonds de faillite de 25000 euros brut en ayant 32 ou 33 ans de boîte. De ces 25000 euros, on nous a déduit tout ce que l’on avait eu en chômage etc… Sur les 25 000 euros, j’ai eu 7000 euros. Voilà ce qui m’est resté après 32 ans de boîte.

Au revoir et merci.

Trois mois après la naissance de ma fille, ma belle-mère décède. C’était elle qui devait m’aider à garder la petite puisque je commençais tôt comme agent d’accompagnement des transports scolaires. Je n’avais personne pour la faire garder. Mon compagnon a demandé aussi un changement d’horaire car il faisait la nuit. Mais on ne pouvait pas laisser un bébé tout seul la nuit. J’ai demandé de faire un autre circuit et un autre horaire mais ils m’ont dit que j’allais sûrement pouvoir m’arranger. Donc j’ai dû leur dire que je ne savais pas reprendre. Pas moyen de trouver une solution. Pas de crèche à 6h du matin.
Oui, j’ai envie de bosser. Oui, je n’en peux plus de rester à la maison. Oui, j’ai envie de me sentir utile autrement que pour les enfants ou le ménage… Mais quand je vois ce que j’ai au chômage et ce que l’on va me proposer… Quelle est l’utilité ? Je vais dépenser plus en essence, je vais user ma voiture, je vais devoir … Je ne parle pas de diminuer le chômage mais de reconnaître le travail, de faire une différence plus importante au niveau des salaires. Et aussi de proposer un système plus égalitaire au niveau des salaires. Quand on voit que des personnes sont payées des sommes mirobolantes… il ne faut pas exagérer … Ces différences énormes au niveau des salaires… Pour moi que cela soit une nettoyeuse ou un Premier ministre… Tous les deux se lèvent pour aller travailler… même si ce n’est pas le même travail.
On te dit de laisser sur le côté ta vie privée quand tu entres dans ton boulot et inversement. Mais le boulot prend tellement de place qu’il étouffe ta vie de famille. Alors, si tu ne veux pas accabler la famille avec les soucis que tu as au boulot, les soucis sont et restent là. Et où pouvoir poser ce genre de choses ? Il n’y a pas d’endroit où l’on peut déposer tout cela.
Quand tu es en call center et que tu rentres chez toi, tu es tellement énervée que tu gueules sur tout ce qui bouge.
Ce qui se passait quand il y avait un trou de caisse ? Des petits trous de caisse de 10 ou 15 euros, hein, pas des fortunes… Ben, il y avait une fille qui travaillait depuis plus de 25 ans, seule avec un enfant. Ma cheffe est venue me trouver un jour en me disant que ce n’était pas normal et qu’il fallait que je trouve d’où venait ce trou. J’avais déjà vérifié tous les tickets de caisse et je ne trouvais pas. Et ma cheffe me disait être certaine que quelqu’un volait. Moi, je lui répondais que non… Et il s’est fait que oui, cette fille volait. Donc un jour au matin, la Gestapo, on appelait cela la Gestapo… C’est une société qui venait. Le type vraiment pas marrant du tout. On fermait tout. On ne pouvait pas ouvrir le magasin. On était dans le noir. Et cette fille était appelée dans la cuisine et là, tin nin nin…
Il y a la vendeuse et il y a la gérante qui n’est qu’une vendeuse, mais avec des responsabilités. Mais tout le monde fait le même boulot. Il y a la POS, la district manager. Il y en a toujours, de plus en plus haut. Alors tout au-dessus, il y a celui qui voit le pognon. Et au final, c’est qui qui morfle ? Ça ne va pas être la directrice, ni la POS, ni la gérante… Ça va être la petite vendeuse à qui on va foutre bien la pression… Parce que si tu ne sais pas vendre un truc à 100 balles alors qu’en fait il en vaut à peine 2,50 et que t’es pas capable de convaincre alors que tu vends de la merde, c’est toi qui vas prendre sur les doigts.

Mes grands-parents me disaient qu’on allait en revenir à un monde fait de gens très riches et de gens très pauvres. Sans juste milieu. Et en fait, ils avaient raison car ceux qui essayent de s’en sortir et qui se tuent au travail… s’ils n’ont pas eu la chance de pouvoir faire des études et avoir un diplôme conséquent, la société ne les regarde même plus. Ils n’ont qu’à subir et se faire rire au nez. Et le jour où il leur arrive quelque chose, il n’y a rien.

Il n’y a rien pour ces gens-là.

Je n’ai jamais été au chômage de ma vie et donc quand j’ai reçu mon C4, je ne l’ai pas rendu. Mais on ne te dit pas que tu dois apporter ton C4… Et donc mon dossier n’était pas en ordre.

C’est ça le système de la responsabilisation individuelle.

Tu dois tout savoir et tout faire seul.

On a perdu le côté humain dans les entreprises. Le coordinateur, responsable, nous invitait de temps en temps à prendre un verre. Il nous connaissait et discutait. Tout le monde se sentait bien. Puis il y a eu un changement de management et on lui a dit qu’il ne pouvait plus faire cela et qu’il ne pouvait plus voir les gens, même en dehors des heures de travail. Hé ben, on se disait juste «Bonjour, Monsieur Untel, bonjour, Madame Unetelle.»

Les gens n’avaient plus envie.

Ma fille a eu quelques soucis de santé à la naissance. J’avais des horaires de travail incompatibles avec sa situation de santé. La petite devait rentrer en clinique régulièrement. J’ai alors demandé un congé sans solde pour pouvoir prendre le temps de mettre les choses en place, mais mon patron l’a refusé. Et me mettre en certificat médical, je ne voulais pas. Lui me disait que je pouvais remettre des certificats médicaux, mais qu’il ne me laissait pas partir. Mais si je lui remettais des certificats médicaux, j’avais l’impression de ne pas me respecter moi. J’avais l’impression de mentir à tout le monde. C’était fausser, tromper. Et je savais que c’était pour longtemps vu que ma fille a eu un gros handicap à la naissance. Je savais que cela n’allait pas durer un mois ou deux. Et ça, le patron ne voulait pas l’entendre. J’ai donc dû donner ma démission. Je me retrouvais sans rien, mais je n’avais pas le choix.
A la longue, même quand on essaie de se battre, même quand on veut travailler, le corps ne peut plus. Et parfois, même si le corps lâche, on est obligé de continuer.

Imagine, le jour où l’on précisera sur le CV « avec stérilet » ou « déjà mère », « ménopausée »…

On y arrivera.

Quand on a un problème, si on est simplement juste écouté c’est déjà pas mal. On ne demande pas que le patron se mette au même niveau que nous, mais qu’on puisse simplement expliquer ce qui nous parait compliqué : juste pouvoir mettre des mots, pas pour que cela change, juste pouvoir être entendu. Un employeur qui prendrait le temps de discuter et de dire : «Qu’est-ce que l’on peut trouver ensemble pour que tu puisses continuer à travailler et que tu puisses bien vivre ta difficulté pour le moment ?».

Je suis certaine que l’employé qui serait traité comme ça ferait le maximum.

Travailler, oui d’accord mais avec des salaires décents et de la considération pour les métiers que l’on fait.

Et que l’on arrête, que le gouvernement arrête de nous prendre pour des brebis galeuses.

Lorsque mon fils a eu un grave ennui de santé, nécessitant beaucoup de soins, j’ai demandé une diminution de mon nombre d’heures à mon employeur, mais il l’a refusé. Comme les horaires ne me permettaient pas de rentrer chez moi avant 19 heures, j’ai dû mentir pour pouvoir m’occuper de mon garçon. J’ai raconté à mon patron que j’allais me séparer de mon mari et qu’il me fallait un horaire plus cool et qu’une semaine sur deux, je devais m’occuper de mes enfants. Que mon fils soit malade, ça ce n’était rien pour lui. Mais par contre le fait que j’allais me séparer, ça il comprenait et j’ai eu droit au changement d’horaire.
Il y a eu un changement de direction. Ma nouvelle patronne a commencé à dévaloriser la façon dont je travaillais. Je sentais que quelque chose n’allait pas. Mais je me raisonnais et me disais que l’entreprise était à côté de chez moi, que ça avait ses avantages, etc. Je me disais qu’il fallait un peu mordre sur ma chique. Et puis ça été toujours plus de «Mords sur ta chique». C’est le médecin qui m’a sortie de là. Je ne dormais plus, je ne mangeais plus, je pleurais tout le temps, ce qui est complètement à l’encontre de ma personnalité. Je n’étais plus du tout la même personne… Et donc le médecin a dit «Maintenant, c’est fini.» Je suis totalement tombée dans le burn out. Plus d’identité. Plus de confiance en moi. Ne plus savoir vider un lave-vaisselle. Ne plus savoir prendre aucune décision. Plus rien. Plus d’existence.

Depuis lors, j’ai toujours cette question du « pourquoi ? » Pourquoi j’ai eu droit à ce comportement ? On ne mérite pas d’être traité comme cela.

Oui, je ne sais pas pourquoi et cela reste dans ma tête.

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