Royal Boch
10 ans après la dernière défaïence
Extraits de pièce
Marie-Thérèse : Et on sera tous repris ! Maria : Tous !
Martine M : Tout le monde va être réembauché ! Inès : C’est louche.
Maria : Ce qui est important, c’est de travailler. Martine M : Avec le même salaire ?
Inès : Oui.
Marie-Thérèse : Vous avez entendu ce que les permanents on dit.
Martine M : Et pourquoi les délégués n’ont pas pu assister aux réunions entre la curatelle, le repreneur et les permanents ?
Inès : Déjà ça, c’est scandaleux!
Marie-Thérèse : Et on laisserait tomber notre préavis. Maria : Quoi ?!
Martine M : Cette histoire de préavis c’est bizarre. Brigitte, t’as compris quelque chose à cette histoire de préavis, toi ?
Inès : Alors explique. Martine : Il y a des risques ?
Brigitte : Les permanents ont dit : tout ce qu’on risque c’est au minimum deux ans de travail.
Inès : Bon, Brigitte, tu expliques ! Brigitte : C’est simple.
Inès : Ça m’étonnerait.
Brigitte : Si la manufacture s’arrête, le Fonds de fermeture intervient pour payer nos préavis
Tous : Mmm.
Brigitte : Mais comme il y a un repreneur, les syndicats ont décidé que nos préavis soient investis.
Martine : Comment ça ?
Brigitte : Comment, comment…que cet argent, au lieu d’aller dans nos poches et nous au chômage, que cet argent serve à payer les créanciers et à relancer l’activité. Inès : Et si on ne veut pas ?
Brigitte : Et comment tu expliquerais à l’Onem que tu refuses ton boulot dans les mêmes conditions ?
Marie-Thérèse : Et ça fait combien d’argent, notre préavis ? Jean-Jacques : Oh, une paille : 750.000 €
Martine : 750.000 € !
Jean-Jacques : Compte un peu le nombre de préavis de plus de 30 ans. Michel : Et le repreneur, il met combien ?
Jean-Jacques : 250.000 !
Martine M : Seulement 250.000 ! Et la Région wallonne ?
Jean-Jacques : 250.000 ! Plus un prêt de 950.000… Tout ça c’est ce qu’on nous a dit ; faut voir…
Martine : Donc, c’est comme si on recevait notre préavis, mais en fait on ne va pas le recevoir.
Brigitte : C’est ça !
Marie-Thérèse : Oui, mais l’Onem va nous dire qu’on a déjà reçu cet argent-là ! Maria : Et on devra rembourser !
Jean-Jacques : On a posé la question, et les permanents ont sorti un papier de leur poche, signé par le repreneur.
Martine M : Un papier qui dit quoi ?
Jean-Jacques : Qui dit que le repreneur rembourserait à l’Onem, au cas où l’Onem nous réclamerait les indemnités de chômage.
Martine : On paye pour travailler quoi. Brigitte : C’est toute notre vie qu’on paye.
Scène 12 – Le coeur à l’ouvrage – Le dernier jour (tels quels projetés sur l’écran
Brigitte : Le coeur qu’on avait à l’ouvrage le premier jour qu’on a retravaillé. Michel : On a vite déchanté )
Jean-Jacques : Il sait qu’il a acheté vieux, mais il veut que ça tourne nouveau. Inès : Il ne vient jamais voir comment ça tourne.
Martine : Comme tous les patrons qui sont passés ici. Ils s’indignent des conditions de travail, jurent qu’ils vont tout changer, et quand ils sont installés, c’est fini.
Martine M : Il a tout à gagner et nous, tout à perdre. Marie-Thérèse : Faut l’entendre le patron !
Jean-Jacques (avec un bol sur lequel une paire de moustaches sont collées): Bien- tôt, il y aura cent personnes ici !
Marie-Thérèse : Cent personnes ? Sans personne ! Nada, zéro. Jean-Jacques (avec le bol ) : Tu n’aurais pas une cigarette ?
Inès : C’est déjà de l’escroquerie !
Jean-Jacques (avec le bol ) : Tu peux me rendre un petit service ?
Michel : Oui, c’est comme ça qu’on travaille avec lui; lui rendre un petit service ! Jean-Jacques (avec le bol ) : Je ne vois plus la flamme dans vos yeux.
Maria : Mais nous on voit bien le fric que tu voles sur notre dos. Jean-Jacques (avec le bol ) : Mettez plus de bols dans le four.
Brigitte : Mais si on en met plus, ils vont coller ! Jean-Jacques (avec le bol ) : Bande d’incapables !
Martine : C’est le contraire d’un entrepreneur. Il y a un mot pour ça ? Brigitte : Oui : fossoyeur.
Inès : Il nous traite de voleurs !
Martine : L’usine se démolit de jour en jour, on voit le stock disparaître. Des gens chargent des camions entiers, sans bordereau, sans papier.
Marie-Thérèse : L’employée l’a dénoncé ça, et elle a été licenciée !
Jean-Jacques : Et nous, on essaye quand même de faire tourner la baraque. Michel : Et puis il n’y a plus de gaz, plus d’éléctricité.
Inès : J’emballais des assiettes à lunch avec Angelo. Il m’a dit : demain, tu chômes. Maria : J’étais à l’emballage, il n’y avait plus de travail.
Martine M : Moi aussi j’étais à l’emballage. On s’est dit : à la prochaine. Mais de- puis, je n’ai plus jamais mis mes mains sur une assiette.
Michel : Je cherchais des postes de travail pour les gens, je me battais pour qu’on rouvre le gaz.
Jean-Jacques : Il y a quelques semaines, j’ai dû jeter mon tour de moulage du 3ème étage. Aujourd’hui j’ai enfin réussi à changer le piston de la machine. Je n’aurai jamais l’occasion de l’essayer.
Martine M : Nous, les ouvriers, on a tenu cette usine en activité pendant 168 ans ! Et lui, le démolisseur, en moins de 18 mois, il a tout vidé, tout volé.
Martine : Oh, il est sûrement dans son droit. Inès : Et nous, mal protégés par la loi.
Martine : Mais c’est peut-être là qu’il est le problème, non ?
Brigitte : Nos droits à nous, ils sont comme ça, et les droits des patrons, il sont comme ça.
Scène 13 – Le papier blanc…
Martine : C’était complètement fou ! Maria : 3 mois sans être payés !
Inès : Et moi 5 !
Brigitte : Couillon d’patron ! Il ne payait plus nos salaires et il refusait de donner les C4.
Marie-Thérèse : Même la juge du tribunal a dit au repreneur-démolisseur : regar- dez les ouvriers dans les yeux !
Martine M : On demandait à être licencié; un comble.
Jean-Jacques : Donc on était coincé. Même la ministre de l’emploi était émue… Inès : Alors on a reçu cette fameuse lettre de l’Onem.
Michel : On doit rembourser les indemnités de chômage.
Brigitte : Vous vous souvenez; notre préavis qu’on devait recevoir mais qu’on a laissé à l’entreprise.
Martine : L’Onem nous disait : vous l’avez reçu, allez, remboursez !
Martine M : Mais nous on disait : on ne l’a pas reçu, ce n’est pas à nous de rem- bourser !
Jean-Jacques : Ils répondaient : prouvez-le !
Marie-Thérèse : Alors on a demandé à voir le papier, celui qui avait été signé par le repreneur.
Brigitte : Mais le papier était blanc, tout blanc, comme de la faïence…
Secouez-vous les idées n°124/ Semestriel - février 2022 - 63
Scène 14 – Allez !
(Les comédiens traversent le plateau en interpellant la salle)
Maria : Et toi, n’oublie pas de te battre, tu n’es pas encore pensionné ! Michel : Vous deux, résistez, il n’y a rien qui viendra tout seul!
Martine M : Tu as demandé si le contrôleur avait le droit ? Ils n’ont pas tous les droits. Tu le sais ? Alors dis-lui !
Jean-Jacques : Il me faut 2 hommes pour donner un coup de main à un copain. Toi, et toi ? (I m’fôt deûs-omes pou d’nér in coûp d’mangn a in cama. Vous èyèt vous ?)
Marie-Thérèse : On va dans les écoles pour raconter comment on travaillait à l’usine. Et comment on s’est battu.
Inès : Eh, ne reste pas tout seul, coupe ta tv, et rejoins les autres. Comment quels autres ? Mais là, à côté de toi.
Martine : Eh, n’oubliez pas : Royal Boch, c’est nous ! Brigitte : Et vous, qu’est ce que vous attendez ? Allez !