Google au charbon

Par Paul Hermant

Les photos qui parsèment ce numéro documentent un thème unique : la commune hainuyère de Farciennes. C’est là, dans un paysage post-industriel où la précarité sociale est tangible, que Google compte installer son cinquième data center de Wallonie, les quatre premiers se trouvant du côté de Mons, à SaintGhislain. Les terres acquises par la multinationale bordent la Sambre. Pour se refroidir, les serveurs numériques, comme les réacteurs nucléaires, ont en effet besoin de rivières ou de fleuves. La Sambre est là qui coule dans une eau qui vient d’un amont encore sidérurgique : elle sera nettoyée avant d’intégrer les circuits.

Sans la Sambre, Google ne serait sans doute pas là. La terre non plus n’est pas bien chère à Farciennes, le prix de l’immobilier, déjà peu élevé en Hainaut, y est l’un des plus faibles de la province. Cette terre n’est pas non plus en très bon état. Nous sommes là dans une des communes au sol les plus artificialisés de Wallonie, une région qui bitume et bétonne tout de même presque 16 km2 par an, soit plus que la superficie de Farciennes même. Google va occuper 53 hectares de ces terres. Elle voisinera Ecoterres, une autre entreprise, plus locale, fondée sur les ressources du territoire : c’est-à-dire sur sa pollution industrielle. Cette entreprise qui recycle les sols et les eaux polluées occupait jusqu’ici sans trop de voisinage un zoning jusque-là dédié au développement durable et à l’économie circulaire. Son slogan, «Dépollueurs de sols, héros des temps modernes», fait écho à bien des débats actuels sur une nécessaire écologie du démantèlement et de la redirection des infrastructures industrielles.

Il faut dire qu’à Farciennes, où que l’on marche, on a le sentiment de piétiner de la marchandise qui a cessé de l’être et qui se cherche aujourd’hui un nouvel usage. Les terrils, Loua ou Bonne Espérance, ne sont rien d’autres que des déchets amoncelés d’une industrie minière qui a vécu à Farciennes ses dernières heures wallonnes. C’est là en effet, en 1984, qu’a fermé le dernier charbonnage de Wallonie : le Roton, qui fournissait encore des centaines de milliers de tonnes d’anthracite et un gros millier d’emplois. On y marche maintenant sur des sentiers de grande randonnée qui mènent donc désormais, sans transition, des énergies fossiles aux technologies numériques. Traverser Farciennes, c’est donc aussi se confronter à une concentration d’enjeux sociaux, écologiques et économiques qui disent la profonde perturbation du temps.

Pour preuve, c’est là aussi qu’un projet de Territoire Zéro Chômeurs de Longue Durée a été déposé par un comité local composé des autorités locales et d’associations du territoire. Car pour parfaire le paysage, on ajoutera que Farciennes est aussi la commune la plus pauvre de Wallonie avec un taux de demandeurs d’emplois inoccupés représentant 10,8% de la population active. Et comme le dit une responsable associative locale : «Je n’ai pas les chiffres, mais dans ces conditions il n’est pas douteux que la fracture numérique double, ici comme ailleurs, la fracture sociale». C’est donc dans ce contexte que se déroulera sans doute bientôt la rencontre entre un Moloch industriel (Google) et un Petit Poucet de l’emploi (TZCLD).

Pour terminer le tableau, on ajoutera que pas loin de là, d’autres Hainuyers imaginent doter la Sambre d’une personnalité juridique à l’image de ce qui s’est fait en Nouvelle-Zélande avec le fleuve Whanganui ou en Inde avec le Gange. Une innovation permettant notamment aux citoyens de saisir la justice au nom de ces fleuves, par exemple en cas de pollution ou de mésusage. Et l’on se demande alors ce que la Sambre, rivière commune, demandera à Google pour refroidir la vie privée de la planète.

panneau d’annonce de construction Crédit photo : Paul Hermant

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