Les professionnels de première ligne, clés du changement
Rencontre avec Paul Timmermans
Rencontre
Impliqué activement aujourd’hui dans l’Instance Bassin Hainaut Sud dont il est président de la chambre Emploi-Formation et dans la Mission Régionale pour l’Emploi et la Formation de Charleroi (MIREC) comme président, Paul Timmermans a à son actif une carrière longue et diversifiée dans les secteurs de la formation, de l’insertion et aussi de l’enseignement. Riche d’expériences et de points de vue croisés, il nous partage son regard sur les enjeux actuels de la formation et de l’insertion socioprofessionnelle.
J’étais venue l’inviter à éclairer pour nous les politiques d’insertion dans lesquelles les CISP ont aujourd’hui à naviguer en Région wallonne et dans lesquelles les publics de l’ISP, de plus en plus fragiles, sont emmenés… et soit bien, soit, souvent, mal menés… Mais il s’est passé autre chose. J’étais à peine assise que l’échange a démarré sur des questions de posture, de marges de manœuvre à investir, de reprise de pouvoir par les acteurs… Et les propos pleins d’énergie positive de Paul Timmermans joignaient en quelque sorte le geste à la parole : loin de se désoler des lourdeurs et surdités administratives, des auto-empêtrages institutionnels paralysants du Forem ou des malentendus entre les missions régionales et les CISP, par exemple, et alors que pourtant il voit parfaitement tout cela et le pointe au passage, il adopte immédiatement une autre posture, qu’il ne lâche plus.
J’ai beau tenter de revenir à mes questions préparées d’avance, sur les problèmes et les responsabilités à dénoncer dans les politiques d’insertion et dans le système de leur mise en œuvre, il exerce le pouvoir, que notre entretien lui donne, de faire exister ce à quoi il tient, en vue de la contribution que vous avez sous les yeux. Il répond présent et ne se laisse pas enfermer. Belle démonstration.
Le ton n’est pas provocateur, mais si on écoute bien, il invite chacun.e, là où il.elle est, à faire sa propre part de révolution constructive… Et à remettre l’humain au centre.
« L’injonction de (re)mise à l’emploi n’est pas contraignante pour les CISP » … Ah bon ??
Petite leçon de communication : même si le ton n’est pas à la provocation, le propos peut faire l’effet d’une bombe… Car les opérateurs d’insertion, ce n’est pas nouveau, perçoivent néanmoins la pression sur la (re)mise à l’emploi. C’est le moins qu’on puisse dire. Et ils ne peuvent pas l’avoir inventée, car justement ils n’y souscrivent pas. Ils estiment qu’elle met à mal un nombre de plus en plus grand de leurs stagiaires et la dénoncent. Si vraiment elle n’existait pas, ils seraient les premiers à s’en réjouir…
Est-ce donc un malentendu ? Regardons cela de plus près. Paul Timmermans n’argumente pas son affirmation que personne n’impose aux CISP de (re)mettre les stagiaires à l’emploi au terme de leur formation. Il le déclare pour faire exister autre chose. Il met son énergie ailleurs.
Certes, il n’est pas dupe pour autant. Son discours n’est pas avare d’exemples circonstanciés pour étayer des réflexions critiques. Il évoque toutes sortes d’effets dommageables de belles idées imposées sans anticiper leur mise en œuvre, de rigidités nuisibles des fonctionnements institutionnels et autres absurdités plus ou moins bien intentionnées. Mais avec lui, nous n’aurons pas la désignation des coupables, ni le cadastre des rouages à réformer dans le système de l’insertion en Région wallonne. Pas non plus le diagnostic des procédures administratives morbides ou de la violence institutionnelle à l’œuvre dans ce champ.
Il sait pourtant très bien de quoi il parle et il concède qu’il « dépense beaucoup trop d’énergie à essayer de bouger les cadres. Il y a toujours ce poids qui vient du dessus. Ça, c’est lourd, lourd, lourd. » Mais s’il actionne sous nos yeux toute la machinerie – et oui, à divers endroits elle se grippe ou elle prend l’eau –, c’est pour attirer notre attention sur une autre posture, décidément : « je plaide pour un mouvement qui repart de la base, et qui remonte », dit-il. « Le travail des professionnels de première ligne, c’est la clé. » Et de mettre en lumière plusieurs dimensions des fonctionnements du système global de l’insertion, avec ces seules questions : Sur quoi avons-nous prise ? Que pouvons-nous changer concrètement ?
Se remettre dans sa puissance
Sa visée globale, c’est celle de retrouver du pouvoir d’agir. Il hésite dès lors à valider la lecture de CISP qui considèrent que les politiques d’insertion maltraitent plus souvent leurs publics les plus fragiles qu’elles ne les soutiennent. Il cherche plutôt à sortir les stagiaires, de même que tous les autres acteurs des secteurs de l’insertion, d’une posture de victime. En effet, cela reviendrait à leur confirmer leur impuissance : tout le monde le sait, voler au secours d’une proie face à son prédateur, c’est confirmer au prédateur que sa proie en est bien une. C’est donc mortifère. Il vaut bien mieux se placer aux côtés de la proie en question pour confronter avec elle le prédateur et en triompher.
Pour cela, il faut sortir de l’idée qu’on subit sans pouvoir rien faire. Si on est attaqué, il est bien sûr légitime de se défendre. Mais se voir comme une victime impuissante génère protectionnisme et isolement, qui nuisent en retour à tous les acteurs de l’insertion, stagiaires compris.
Dans le système de l’insertion, les acteurs de première ligne
Sortir du réflexe protectionniste qui isole chacun des acteurs de l’insertion
Paul Timmermans dénonce l’isolement, qu’il rapporte à un certain protectionnisme, de tous les acteurs et qui leur nuit directement, en plus d’être dommageable pour les stagiaires bien sûr. Entre le Forem et tous les autres opérateurs, entre les CISP et les MIRE, entre les CISP et le Forem, entre certaines fédérations d’ISP, entre la chambre Emploi-Formation et la chambre Enseignement de l’Instance Bassin Hainaut Sud, entre l’IFAPME et les CEFA pour ce qui concerne la formation en alternance, les CEFA entre eux, etc. Les opérateurs sont multiples, mais chacun semble plutôt défendre son pré carré et voir ce qui peut venir des autres comme autant d’ingérence dont il faut se méfier.
Il cite, par exemple, le mécanisme d’adressage par lequel il est prévu que le Forem puisse envoyer des demandeurs d’emploi vers tel ou tel CISP ou telle MIRE. Trop de CISP et trop de MIREs ne l’intègrent pas encore et revendiquent de garder leur stricte autonomie dans la sélection de leurs stagiaires ou bénéficiaires. Ou bien encore des CPAS qui ont leur propre service d’insertion et n’aiguillent un stagiaire vers la MIREC que par dépit ou relégation, quand leur service a échoué avec une personne – qui, au passage, subit également comme une relégation ce qui pourrait être simplement une étape suivante de son parcours d’insertion.
Derrière ces attitudes, il identifie des représentations culturelles difficiles à modifier, des logiques de travail bien installées, pas toujours conscientes et qu’on choisit moins pour leur pertinence dans une situation particulière que par habitude ou par souci de préserver ses subventions. Ainsi de la tendance à la standardisation des pratiques, notamment, en recherche de la configuration miracle qui pourrait tout simplifier : en démultipliant bien souvent les procédures administratives, les projets de ce genre éveillent a priori des résistances. Chacun finit par penser qu’il s’en sortira mieux seul et que partager avec d’autres risque de le fragiliser.
Mais en conséquence, chaque CISP se retrouve à devoir gérer seul la situation schizophrénique d’avoir un regard positif sur les stagiaires, demandeurs d’emploi, à qui il faut proposer au moins une fois la remise à l’emploi, tout en sachant que cela ne marchera pas nécessairement, car tel ou telle n’y arrivera probablement jamais ou risque fort de ne pas y rester longtemps. Négocier les conditions d’un emploi de qualité pour une personne durablement éloignée du marché du travail n’est pas a priori dans l’ADN des CISP ou des CPAS. C’est souvent un champ additionnel à leurs missions.
Investir nettement plus les liens entre les acteurs
Paul insiste sur les modalités précises qui vont permettre de renforcer des liens pertinents et crédibles. Il s’agit de :
- Partir du terrain : « Partir des professionnels de première ligne, pour moi, c’est une clé »
- Co-construire autour d’un problème identifié et vécu en commun. Par exemple, aujourd’hui, les formateurs, dans les CISP, ou au Forem, ou à l’IFAPME, rencontrent les mêmes difficultés que l’enseignement rencontre depuis des années : de l’absentéisme, un profond ennui d’un certain nombre de stagiaires, qui décrochent, de la violence parfois… Et on ne fait pas assez vivre la formation. Pour travailler ensemble là-dessus, il ne faut pas confondre co-construction et co-responsabilité. Co-construire, c’est ceci : « j’ai une idée géniale, ou j’ai un problème important, je vais réunir les gens pour identifier la nature du problème et voir ce qu’on peut faire. » Si c’est juste porter ensemble une responsabilité, parce que j’ai réuni des gens pour traiter avec moi mon idée ou mon problème, à ma manière, ce n’est pas de la co-construction.
- Ne s’engager que sur des perspectives gagnantes pour toutes les parties : mettre les choses en place pour que ça fonctionne, pour que ce soit juste, pour que tout le monde y gagne.
- Prendre soin de la qualité des relations : cela suppose de se connaître et de nourrir les liens en positif, pas seulement pour pouvoir se reposer sur les autres ou rejeter vers eux des personnes ou des problèmes. La qualité des relations et le respect qu’on a mutuellement entre acteurs est sans doute l’élément le plus déterminant. « Si j’ai des relations positives, personnalisées avec certains membres de la hiérarchie du Forem », explique-t-il, « c’est parce que j’ai un profond respect pour le Forem. Et je suis navré quand il est dénigré par le vote libéral et des représentants du patronat, et qu’on veut le remplacer par du privé. Je suis un ardent défenseur du pouvoir public, mais c’est aussi pour cette raison que je me permets de le critiquer, parce que je trouve que, par certains aspects, il va lui-même à sa perte. »
Ceci dit, il souligne aussi qu’« on a encore de grosses faiblesses. Par exemple, dans la région de Charleroi, on ne parvient pas à ce que les CISP pensent emploi conjointement avec la MIREC. Il y a de gros malentendus mutuels à clarifier pour que les outils soient complémentaires, dans l’intérêt des personnes les plus fragilisées. Mais cela vaut pour l’ensemble des territoires wallons, les centres et les instances : il n’y a que trop peu de politique concertée. »
Quant aux contacts avec les autres filières d’enseignement et de formation sur les problèmes communs qui s’y rencontrent, les structures que sont les Instances Bassins se prêtent par excellence à ce rôle, puisqu’elles sont chargées de faire la régulation de l’offre de formation sur un territoire. Elles prennent en compte à la fois les besoins des entreprises, pour autant qu’on parvienne à les définir et pour que les employeurs parviennent à les décrire eux-mêmes de façon claire, en termes de compétences exigées au poste de travail (et pas seulement de façon utopique), et les besoins et demandes de formation des demandeurs d’emploi. Toutefois, des deux chambres « Emploi Formation » et « Enseignement », il se fait que les chambres « Enseignement » des Instances Bassins viennent de se restructurer et se sont aujourd’hui bien trop recentrées sur l’organisation interne de la seule filière secondaire générale… La conscience de l’utilité des liens entre les acteurs et de la co-construction des processus, même dans les organes qui y sont a priori dédiés, n’est décidément pas automatique.
Par ailleurs, rappelons que les Instances Bassins, si elles sont de véritables lieux d’intermédiation, définis comme tels dans le cadre institutionnel lui-même, n’ont jamais qu’un pouvoir d’avis. D’une main, donc, on inscrit la légitimité de la régulation dans le cadre, de l’autre on lui ôte tout pouvoir d’accroitre réellement la fluidité et la coopération au sein du système… sauf si les acteurs acceptent lucidement de sortir de leur cadre.
Il évoque également la valeur de l’intermédiation dans les mécanismes d’appariement entre les employeurs et les candidats à l’emploi : « Il faut connaître la personne, mais il faut aussi connaître l’emploi. Et moi, je suis pour cette rencontre. » On y reviendra ci-dessous, dans la partie « Le public en insertion ».
Enfin, il souligne deux points de vigilance en la matière. Le premier concerne directement le mal-être des formateurs en CISP, et peut-elle encore plus en EFT : « Il faut d’abord trouver du temps pour construire avec eux d’autres approches, d’autres approches pédagogiques. Peut-être plus de travail collectif ? » Le second rappelle l’importance de lever, entre opérateurs partenaires ou en vue de devenir partenaires, les incompréhensions mutuelles, les (risques d’instaurer des) concurrences. Ne pas penser qu’on fait forcément tout mieux que les autres ; accepter que cela prenne du temps, d’y consacrer du temps, savoir que jamais ce ne sera réglé définitivement ; lever les freins petit à petit. Tout cela est indispensable et exigeant. Il évoque, dans le même ordre d’idées, le cas d’un projet Territoire Zéro Chômeur, qui doit prendre sa place sur un territoire parmi les autres opérateurs de formation et d’insertion : titres-services, ALE, CISP…
Utiliser nos marges de manœuvre
Cette fois, Paul parle en « nous ». C’est en effet ce « nous » des professionnels clés du changement qui doit, selon lui, se remettre à la manœuvre. L’enjeu est important : il s’agit de « faire exister ce dont nous avons besoin pour travailler autrement, c’est-à-dire pour mieux nous respecter et rendre possible que nous respections mieux nos stagiaires ou nos bénéficiaires. »
« Les conseillers en accompagnement du Forem ou les formateurs des CISP et les agents de guidance ont plein de choses à dire. C’est sur eux que repose l’initiative du changement dans les organismes impliqués dans l’insertion. Et puis, juste après, le relais doit être pris par l’organisation elle-même, pour rendre possible un travail collectif et une co-construction. Sans attendre, à ce stade, que la ministre donne des sous en plus. » Sachant que le problème pratique le plus aigu, en CISP, est alors celui du temps disponible, comment faire ?
Il y a des marges, affirme Paul. On peut par exemple faire venir des animations de l’extérieur. Cela libère du temps à un moment donné pour faire autre chose et cela ne doit pas passer par des cadres réglementaires et des financements lourds. Il évoque aussi cette expérience inspirante qu’il a initiée quand il était directeur d’école secondaire (et qui a essaimé aujourd’hui en FWB) pour retrouver du temps en respectant les prescrits : « En faisant passer 30h de cours (réparties en blocs de 2h) de 50 à 45 minutes, on a récupéré 3h de cours : tout le jeudi après-midi pour faire d’autres choses, au bénéfice des élèves et des enseignants ! La formule était limite, mais pas illégale et pas préjudiciable au boulot, au contraire. Et là, tu retrouves de l’enthousiasme… »
Au-delà de cette mobilisation en interne, les fédérations ont ensuite un pouvoir de capitaliser là-dessus, et l’Interfédé, à coup sûr, en a un, avec le pouvoir d’être considérée comme une vraie interlocutrice par rapport à la ministre. Ici, Paul note que pour en arriver à cela, il faut une direction qui soit « non seulement soutenante, mais un peu politique », pour qu’elle soit sensible à ces enjeux et aux stratégies pour les faire remonter du terrain.
Quels que soient les objectifs poursuivis, il s’agit en tous cas d’agir plutôt sur les faits que sur le cadre réglementaire. En travaillant dans les marges : « Après, tu fais bouger l’écart. Et finalement, il bouge tout seul ! »
Le public en insertion
Remettre l’humain – adulte – au centre
Si l’objectif des CISP n’est pas (uniquement) la (re)mise à l’emploi, ils devraient pouvoir se mettre vraiment à viser des objectifs adaptés à chaque personne, avec elle.
« On aurait quand même intérêt, avec des chômeurs de longue durée, à construire leur projet, non pas sous la sanction, non pas sous la recherche active d’emploi, mais simplement sur ‘je veux redevenir un citoyen comme les autres. Et pour cela, je rencontre un adulte qui est payé pour causer avec moi de façon sérieuse. Ça reste entre nous. Il me stimule, me donne envie de chercher ce qui m’intéresse, etc.’ » Peut alors s’installer une relation d’adulte à adulte, sans infantilisation, sans victimisation, sans infériorisation quasi automatique comme ce peut être le cas sur la base des compétences.
Et on a même des chances de permettre ainsi à la personne d’adopter une posture qui la mènera plus vite à l’emploi : « Le déterminant de l’emploi, ce n’est pas toujours la compétence qu’on a acquise. C’est parfois l’estime de soi, la confiance en soi, la sociabilisation… »
Faire éprouver aux stagiaires qu’ils sont accompagnés sur leur parcours
Veiller à installer chez eux le sentiment qu’ils ne sont pas seuls, pas abandonnés, pas renvoyés à la débrouille. Calibrer avec eux des objectifs réalistes et progressifs, donc motivants… Voilà des principes, mais au fait, pour Paul Timmermans, qu’est-ce qu’un bon accompagnement ?
- Il doit se décaler par rapport à une logique d’aide. Et par rapport à une logique strictement orientée compétences. C’est une question de posture à nouveau : de quoi inviter les personnes à répondre présentes, comme adultes et comme citoyen.nes. Attention : ceci ne concerne pas plus les CISP que les autres opérateurs de l’insertion. Réduire l’accompagnement à une relation d’aide et à une attente de compétences est hélas une tendance très forte.
- Adapter le suivi à « où en est le stagiaire », plus qu’à « où il serait censé aller »…
- Oser, comme accompagnant.e, se remettre en question – se demander avec d’autres, en effet miroir : « qu’est-ce qu’il y a dans mon attitude qui empêche que l’accompagnement se passe bien ? »
- S’inspirer de l’exemple de Territoires Zéro Chômeur : quelles manières de travailler mettre en place avec les stagiaires pour que celles-ci puissent constituer des dispositifs de vrai soutien et un catalyseur si les personnes ont un projet ?
- L’Approche Par Compétences prévoyait, en termes d’accompagnement des parcours de formation, l’identification claire de « passerelles » et de « filières ». Cependant, l’ingénierie de l’APC constitue aujourd’hui « une grosse tuyauterie très complexe, rigide et cadenassée administrativement par l’autorité du SFMQ sur les référentiels des métiers et des formations. » Il faudrait une structure capable d’évoluer beaucoup plus souplement et rapidement pour qu’elle puisse être à jour, et dès lors soutenante pour les stagiaires en insertion.
- Lever les freins qui donnent le sentiment aux personnes qu’on leur met sans cesse des bâtons dans les roues : l’Instance Bassin a réalisé un livre blanc des freins à l’insertion et aux passerelles, transmis à la ministre et auquel les CISP ont activement participé. Parmi d’autres, un frein qui n’est toujours pas levé, c’est que la même personne ne peut pas être aidée par deux institutions en même temps. Donc si la MIREC prend quelqu’un en charge pendant sa formation en CISP, l’une ou l’autre n’est pas payée pour le faire. C’est, soit dit en passant, un obstacle de plus aux collaborations entre les professionnels.
- Accroitre l’ouverture et la mobilité des stagiaires en travaillant la transférabilité de leurs compétences : « si quelqu’un sait manier une tronçonneuse, il y a beaucoup de chances que cette personne sache conseiller sur l’achat d’une tronçonneuse. Il ne lui manque pas grand-chose. » L’Instance Bassin Hainaut Sud travaille beaucoup à cela avec un groupe de travail permanent sur les « passerelles et transitions ». Renforcer la mobilité des gens, c’est aussi accroitre leur autonomie pour être acteurs de leur vie.
Ne pas lâcher les employeurs (et que tout le monde, eux aussi donc, soit gagnant)
Paul soutient « qu’il y a plus de gens qu’on ne croit qui sont prêts à l’emploi, pour peu qu’on puisse peser sur l’emploi aussi. C’est-à-dire à la fois sur les aspects que je qualifie de syndicaux, qui sont les conditions de travail, la dignité, les conditions d’hygiène, salariales, etc. C’est le minimum du minimum, on ne transige pas là-dessus. Mais aussi sur ton intégration dans le monde du travail, les tâches que tu vas faire. » Or, envisager l’accès à l’emploi plus tôt chaque fois que c’est possible peut soutenir la motivation des stagiaires, car mine de rien, ce sont aussi eux qui font pression dans les CISP sur la mise à l’emploi. L’intérêt des missions régionales est de remplir cette fonction d’intermédiaire actif stagiaire-employeur, qu’on appelle l’appariement, chaque fois qu’il s’agit d’insertion au sens classique et non de Territoire Zéro Chômeur, qui pratique l’entreprise inversée.
Pour lui, le processus d’insertion dans l’emploi peut se décrire en quatre niveaux :
- Le premier, auquel se limitent beaucoup (trop) d’opérateurs, consiste à « repérer un poste qui pourrait correspondre à quelqu’un que j’ai dans mon catalogue ». On peut le qualifier d’« appariement ».
- Le deuxième niveau, c’est celui où on travaille sur la personne pour renforcer sa capacité globale – compétences, stabilité, levée des freins à l’emploi… – à s’adapter à un emploi qui peut se présenter. C’est ce qu’on appelle agir sur « l’employabilité » des personnes.
- Le troisième, c’est celui de « l’intermédiation active », qui travaille au moins autant sur l’emploi et l’entreprise que sur la personne concernée. Il correspond à ce que font certaines missions régionales. Il s’agit de peser autant sur l’offre que sur la demande, avec une technique qu’on appelle la logique intrusive par rapport aux employeurs. Car tant que seuls les candidats à l’emploi doivent faire les efforts et que les entreprises ne s’engagent pas plus concrètement à définir et adapter leur demande à la situation réelle de travail, cela ne peut pas marcher. Ainsi, la MIREC, par exemple, pratique cette intermédiation entre l’employeur et le candidat jusqu’à aligner les deux. Cela implique de prendre une autre place face à l’entreprise, en prenant en compte qu’elle a besoin de quelqu’un. « Et au bout du processus, c’est l’entreprise qui doit te dire merci. » Jusqu’à ce que ce soient les employeurs qui se mettent à appeler la MIREC pour voir si on peut leur proposer quelqu’un…
- Le quatrième niveau, c’est celui de Territoire Zéro Chômeur, où l’emploi est construit à partir de la personne elle-même. Là, c’est le poste qui s’adapte à elle, et qui apporte quelque chose en plus dans le territoire. Cela génère du sens, du collectif, de la reconnaissance, de la convivialité. Mais il faut souligner que cela marche quand les gens sont motivés, prêts à créer leur propre projet, puis emploi… En France, il y a ce qui se nomme le « parcours des possibles » pour les y accompagner. Dans la même ligne, l’idée d’une formation ISP où les stagiaires seraient invités à construire ensemble un projet d’activité pourrait s’envisager en CISP. Encore faut-il que les personnes soient motivées et s’investissent, car c’est plus exigeant que de suivre une formation.
Un mot de la fin ?
Il y a toujours des possibilités, rappelle Paul Timmermans une fois encore. Mais il ne s’en tient pas à cette formule neutre, car il ajoute : « je suis persuadé qu’il y a toujours moyen de transgresser intelligemment. » Ce sont clairement les marges de manœuvre, les interstices connus des professionnels de terrain et dans lesquels ils peuvent reprendre du pouvoir – au moins un peu pour commencer –, au bénéfice de leurs publics et de leurs missions, qui l’intéressent.
Agir là où on est, là où on sait que c’est pertinent, là où on sait que ça pourrait réussir, que ça pourrait faire avancer les choses. Avec la perspective que finalement, cela fasse bouger les lignes aussi dans le cadre institutionnel, dont il faut donc également investir stratégiquement les lieux : « pas nécessairement de façon trop vindicative, mais revendicative », précise-t-il.
Je l’écrivais en introduction : l’homme n’est pas provocateur, mais il est déterminé. Et positif.